III

À peine cinq jours plus tard, les légions du roi-calife, venues du sud, arrivèrent à Dijon.

Les torches et les feux de camp des armées wisigothes traçaient un cercle de flammes autour de la ville. Cendres, sur les remparts de la tour de la compagnie, scrutait la limpidité de cette nuit de givre. La lune, qui avait dépassé son plein depuis trois jours, illuminait chaque mètre de terre nue jusqu’aux tranchées et aux barricades de l’ennemi, chaque aigle et étendard, chaque pointe de tente wisigothe…

Où ils dorment, au chaud et bien nourris. Enfin, nourris, du moins.

… et chaque équipe de gardes en patrouille.

Elle descendit, pour voler une heure de sommeil entre deux réunions avec son groupe d’état-major bourguignon, et fut de retour sur le toit sous une fausse aurore.

Rickard monta, lui apportant des orties brassées en petite bière, l’actuel succédané proposé par Henri Brant en guise de vin. Il s’assit avec elle, enveloppé dans le grand manteau de Robert Anselm, en essayant de ne pas laisser paraître combien ses dents claquaient.

« Qu’ils y viennent, pas vrai, patronne ? »

Cendres remonta sa cotte doublée de fourrure de lièvre par-dessus sa maille. La faim lui tenaillait l’estomac. « Tu as tout compris. Qu’ils viennent commettre la pire erreur qu’ils aient jamais commise. »

Avec l’aube, un givre noir tomba. Une cloche solitaire sonna l’heure de tierce[49].

« Là-bas. » Rickard libéra un bras de l’épais manteau de laine pour pointer le doigt.

Son haleine embrumait l’air devant son visage. La peau de sa figure avait perdu toute sensation. Du sommet de la tour, Cendres examina la lumière claire, glaciale qui tombait de l’est. Puis elle laissa son regard balayer le campement wisigoth, le mouvement des hommes autour des tentes, des cabanes de terre, des fosses à feu et des tranchées, jusqu’à ce qu’elle regarde dans la direction qu’indiquait Rickard.

« Ils sont en avance, commenta-t-elle. Milord Oxford les a sous-estimés. »

Dieu fasse que ce soit sa seule erreur.

Des hommes couraient, dans le matin glacial : des troupes de serfs wisigoths se déversaient hors de leurs baraquements de toile, le soleil se reflétait sur l’armure d’écaille des cataphractes, les pointes de lances scintillaient. Le beuglement rauque des trompes et des clairons résonna sur la terre givrée. Cendres abrita ses yeux de l’ardeur du soleil blanc qui se levait, se demandant si quelque part dans cette masse en mouvement la Faris s’éveillait, marchait, donnait des ordres, siégeait seule.

En quelques courtes minutes, les troupes wisigothes avaient formé des carrés légionnaires, les aigles de la XII Utica et de la VI Leptis Parva se dressant tout au long de la route très au-delà de la portée des arcs et des canons installés sur les remparts de Dijon. Le vent apporta l’écho de trompes lointaines. Cendres observa la route qui venait du sud se remplir d’hommes en marche, d’étendards noirs et d’aigles qui reflétaient la lumière. Sous les drapeaux brillaient les casques de centaines de soldats, et face à eux s’avançait le charroi de guerre cérémonial et blindé de bronze du roi-calife.

Cendres hocha la tête pour elle-même en voyant apparaître une bannière avec une herse d’argent sur champ noir. Les murailles crépusculaires de Carthage oppressèrent sa mémoire. Ses entrailles se tordirent inconfortablement.

« Et voilà, Rickard. C’est la garde de la maison du roi-calife. Et la Legio III Caralis… Je ne vois pas l’autre… » Cendres passa le bras sur les épaules couvertes du jeune garçon. « Et ça, là-bas, c’est la bannière personnelle de Gélimer… Et voilà celle de la Faris. Très bien. Maintenant, on va attendre, pendant que le chaudron commence à bouillir. »

Deux heures plus tard, Cendres s’endormit, toute droite sur son siège, dans la salle principale.

Il restait un coffre de chêne, enfoncé sur un côté de la grande cheminée contre le mur. Elle était assise dessus, en harnois complet, à écouter les centeniers bourguignons, chacun à son tour ; puis, ses propres chefs de lance et leurs hommes, Willem Verhaecht et Thomas Rochester, Euen Huw et Henri Brant, Ludmilla Rostovnaya, Blanche et Baldina. Elle traitait les problèmes, et lorsque l’épuisement ralentissait son raisonnement, l’instinct et l’expérience prenaient la relève.

Elle s’endormit appuyée contre le coin de l’âtre, toute droite, en harnois complet, au milieu d’une réunion. Confusément, elle entendit les plates de son harnois grincer contre la pierre. Cela ne suffit pas à la réveiller. Le feu couvant luisait, donnant de la chaleur sur un côté de son visage.

Elle avait encore conscience, comme venues de très loin, des voix laconiques des hommes harassés, qui laissaient choir leur équipement sur leur paillasse et s’effondraient en espérant que le sommeil chasserait leur faim, et de la voix d’Anselm dont le beuglement montait de la cour, où il dirigeait un entraînement au combat armé au corps-à-corps. Une partie de l’esprit de Cendres continua à passer en revue les évaluations d’Angelotti et de Jussey sur les munitions restantes : carreaux, flèches, balles d’arquebuse et boulets de canon.

Même captive de la paralysie du sommeil, une partie d’elle demeurait sur le qui-vive.

Elle eut un instant pour comprendre : C’est parce que je ne veux pas rêver. Je ne veux pas entendre Godfrey, c’est trop dur quand je ne peux pas lui parler. Parce que les Wisigoths peuvent demander au Golem de pierre ce que j’ai dit. Parce que les Machines sauvages m’entendront, même si elles ne disent rien…, puis elle sombra dans le sommeil comme dans un puits sombre et, un battement de cœur plus tard, des mains la secouèrent par ses spallières ; elle remua une bouche rendue pâteuse par le sommeil et elle leva les yeux pour voir le visage de Robert Anselm.

« Qu’est-ce ?

— J’ai dit : t’aurais dû voir ça ! »

La ligne de soleil passant par les meurtrières reposait bien plus loin sur le parquet. Cendres cligna des yeux, et ordonna d’une voix enrouée : « Fais-moi un rapport, Robert », et elle tendit la main quand Rickard lui présenta une gourde d’eau.

« Nous avons eu une délégation qui est sortie du camp des enturbannés. » Robert Anselm s’accroupit devant le coffre sur lequel elle était assise. « Ah, t’aurais dû voir ça ! Six golems messagers, chacun avec une bannière, putain ! Un nain batteur de tambour. Et un pauvre couillon avec un drapeau blanc qui s’est avancé entre eux vers la porte nord-ouest, en priant pour que nos troufions ne soient pas des énervés de la détente, et en criant pour demander une entrevue.

— Qui était-ce ?

— Monsieur Je-compte-pour-du-beurre, répondit Robert Anselm avec un sourire qui était à la fois carnassier et compatissant. Qui crois-tu donc, ma fille ? Gélimer en personne ? Aucune chance. Ils ont envoyé Agnès. »

Prise de court, Cendres ricana. « Ouais, je vois bien l’Agneau se pisser dessus, sur ce coup-là. Rappelle-moi de faire une proposition à ce type, si la situation évolue. Dis-lui que s’il signe dans le camp de Florian, je ne lui donnerai pas tous les boulots de merde ! C’était quand, ça ? Pourquoi veulent-ils parlementer ? Quel est le résultat ?

— Il y a une heure, environ. » Les yeux noisette de Robert Anselm luisaient sous sa coiffe et sa salade. « Le résultat est que Florian le toubib veut sortir leur parler. »

« Mais tu es complètement cinglée ! »

Les soldats et nobles bourguignons dans les appartements de Floria foudroyèrent Cendres du regard ; elle les ignora comme elle ignora le regard d’approbation, dissimulé et soulagé, d’Olivier de La Marche.

« Fallait bien que quelqu’un lui dise, marmonna le représentant de la duchesse.

— Si tu poses un pied en dehors des remparts, on se fout que tu aies les cinq cents Turcs de Mehmed fourrés dans le cul : tu es morte. Tu comprends ce que je te dis ? »

Floria del Guiz tenait sa couronne entre ses mains, la tournant, caressant de ses doigts les contours de corne blanche sculptée. Elle leva les yeux vers Cendres.

« Reprends-toi, lui conseilla-t-elle.

— Que je me reprenne ? Mais c’est à toi de te reprendre ! » Cendres serra les poings. « Écoute-moi, Florian. Les Machines sauvages doivent te tuer, et elles le savent. Si Gélimer continue à suivre les conseils tactiques du Golem de pierre, c’est ça qu’il va lui dire. Sinon, il doit quand même te tuer… tu es la Bourgogne : s’il te tue, la guerre dans le nord se désagrégera, le reste de la Chrétienté commencera à dire : Oui, patron, et les Turcs chercheront à négocier un traité de paix ! »

En arrière-plan, elle avait conscience des hochements de tête de La Marche et du conseil, du commentaire qu’échangeait à mi-voix John de Vere avec un de ses frères.

« Tu sais ce que je ferais, si j’étais Gélimer, continua doucement Cendres. Une fois que je t’aurais en terrain découvert à l’extérieur de ces remparts, je ferais feu avec mes canons et mes machines de siège et je t’éliminerais de la carte. Toi et tous les autres membres de la délégation. Même si je devais éliminer des gars à moi par la même occasion. Je m’en foutrais. Ensuite, je présenterais mes excuses au sultan pour avoir zigouillé ses Turcs : un déplorable accident. Parce qu’une fois que tu ne seras plus là, et que l’Europe sera consolidée, il y a deux chances contre une pour que Mehmed décide que l’heure d’une guerre n’a pas encore sonné. Je te le dis, si jamais tu sors, tu es morte. Et ensuite, il n’y aura plus rien pour arrêter les Machines sauvages, rien du tout. »

Le ciel couvert luisait d’un gris pâle à travers les carreaux. Des nuées mouvantes révélaient le disque blanc du soleil, pas plus puissant que la pleine lune. Floria del Guiz continua à retourner la couronne de corne entre ses doigts vigoureux et sales. L’épuisement la marquait, comme si on avait frotté sous ses yeux deux pouces chargés de noir de chandelle.

« Maintenant, écoute-moi, dit-elle. J’ai discuté avec ce conseil et avec milord Oxford, et maintenant, je vais te le dire. Nous n’avons rien à manger. La maladie règne : la dysenterie, peut-être la peste. Nous avons une ville emplie de gens qui crèvent de faim. Je vais parlementer avec les Wisigoths. Je vais négocier leur libération. »

Cendres indiqua d’un coup de pouce le monde derrière la fenêtre. « De façon à ce qu’ils puissent crever de faim dehors, là-bas, avec les autres réfugiés ?

— Je ne suis pas duchesse, je suis médecin ! aboya Floria. Je n’ai pas demandé à porter cette couronne, mais je l’ai. Alors, je dois faire quelque chose. Les hospices sont pleins : il y a déjà deux heures, l’abbé de Saint-Étienne était en larmes. Je n’ai pas assez de prêtres pour prier pour les malades. J’ai prêté serment, Cendres ! Avant tout, ne fais pas de mal ! Je vais faire sortir les civils de ce siège avant que nous n’ayons une épidémie.

— J’en doute. Gélimer sera ravi de nous voir crever de maladie.

— Merde ! » Floria sacra, tourna les talons et commença à arpenter la salle, écartant à coups de pied le bas de ses robes de son chemin ; elle ressemblait à un grand épouvantail sale, visiblement plus maigre maintenant que lors de leur chevauchée dans la forêt sauvage. La duchesse fit la grimace et fronça ses sourcils dorés. « Tu as raison. Bien sûr que tu as raison. Cendres, il doit bien y avoir un moyen d’y parvenir. Pendant qu’on parlemente, au moins ils ne nous attaquent pas. Ça nous fait gagner du temps. Par conséquent, nous devons accepter.

— Nous, peut-être. Mais pas toi. Tu as chassé le cerf, souviens-toi. »

En parcourant des yeux la salle, Cendres remarqua Richard Faversham parmi ses propres hommes ; le diacre anglais avait le visage fripé derrière sa barbe noire. Ses yeux brasillaient. Il hochait la tête.

« Mais Gélimer spécifie que si je ne suis pas présente, il n’y aura pas de pourparlers », dit Floria.

Dans le silence, John de Vere conseilla : « Ouvrez des négociations, madame, mais assurez-vous que le roi-calife Gélimer y assiste en même temps que vous. Ils ne pourront alors pas faire usage de leurs machines de siège et de leurs canons.

— Je n’y compterais pas si j’étais à sa place ; j’irais là-bas, et puis je me tirerais, et je laisserais l’artillerie se charger du reste. » Cendres glissa la main le long du fourreau de son épée pour se rassurer. « Florian a raison sur un point. Nous avons bien besoin de ce délai. Dès qu’ils commenceront sérieusement à lancer des assauts, ils vont s’apercevoir rapidement que nous manquons d’hommes et de munitions. Très bien… »

Florian haussa les épaules. « Je trouverai un moyen de le faire, Cendres. Peu importe le cerf. Où pouvons-nous tenir des pourparlers ?

— Sur un pont ? proposa John de Vere. Est-ce que tous les ponts ont été détruits ? Ce serait un territoire neutre.

— Non, gronda Olivier de La Marche. Non !

— De la folie, milord ! se récria Philippe Ternant. Nous savons quelles traîtrises apportent les ponts. Le grand-père du défunt duc, le duc Jean, a été traîtreusement tué sur un pont durant une trêve, par ces fils de putes de Français[50]. Ils lui ont tranché la main droite ! C’était ignoble !

— Ah. » De Vere leva ses pâles sourcils. Il commenta d’une voix douce : « Pas sur un pont, donc. »

Cendres convertit un rire en toux. « Où, alors ? Pas en terrain découvert. Même si Gélimer était là, il serait quand même trop aisé de charger un de leurs lanceurs de feu grégeois et de nous atteindre avant que nous ayons regagné la protection des remparts de la ville. »

Il y eut un silence au cours duquel les nœuds du bois à brûler crépitèrent tandis que le feu se consumait. Un courant d’air froid souffla par la cheminée, en dépit du feu.

Robert Anselm se mit à rire. Cendres lui jeta un regard.

« Vas-y, crache. Tu as trouvé quelque chose ? »

Anselm la regarda d’abord, puis de Vere, et il se remit debout. Tout droit, son crâne luisant à travers un début de repousse, il déclara : « Vous cherchez un endroit qui ne sera pas en terrain découvert, patronne, non ? »

Le colonel Bajazet dit quelques mots à l’interprète. Avant que le voïnik ait pu traduire, Robert Anselm acquiesça.

« Ouais, vos gars ont fait ça en Morée plusieurs fois. Construire un petit fortin en terrain neutre et faire se rencontrer les deux camps à l’intérieur. Si quelqu’un déclenche un combat, tout le monde se fait tuer. » Anselm arrondit ses épaules. « Ça n’ira pas, basi. Ils pourraient quand même nous tomber dessus sur le chemin, à l’aller ou au retour. »

Le Turc leva les mains : « Plan, quoi ?

— Les rencontrer sous terre. Dans une sape. »

— Dans une… » Cendres s’interrompit. Robert Anselm la regarda droit dans les yeux. Il ne sentait pas le vin, ni les cochonneries fermentées que les cuisiniers d’Henri Brant avaient concoctées à partir des rebuts pour les porcs. Il se tenait la tête droite.

Cendres se demanda : Est-ce à cause de De Vere, son ancien patron lancastrien ? Ou a-t-il enfin décidé de ne plus se tourner les pouces, et de m’aider ? Dans tous les cas, du moment qu’il a pris sa décision, cela a-t-il une importance pour moi ?

Oui. Je préférerais qu’il ait fait ça pour moi. C’est moi qui place la vie des autres entre ses mains.

« Une sape, répéta-t-elle. Tu crois qu’on devrait rencontrer les Wisigoths dans un tunnel ? »

Cette fois-ci, ce fut de Vere qui éclata de rire, et son frère Dickon avec lui. Le vicomte de Beaumont déclara d’un ton joyeux, en anglais : « Et je suppose que nous allons leur demander de suspendre les négociations jusqu’à ce que nous en ayons creusé un, maître Anselm ? »

Anselm reposa la main sur le pommeau de son épée. Il jeta un coup d’œil vers Cendres. Elle hocha la tête.

« Gélimer ne se risquerait pas à employer l’artillerie. Si un tunnel s’effondre… », Anselm claqua de la paume à plat pour illustrer son propos, « tout le monde est mort. Commencez un combat dans un tunnel et ça tourne au bain de sang. Même chose : tout le monde crève ; personne ne pourrait avoir la certitude d’y survivre, Gélimer inclus. Prenez les Turcs du colonel avec nous, et j’estime que ça assurerait le coup. »

Il y eut un brouhaha de discussions. Cendres regarda Robert Anselm, sans dire un mot. C’est elle qu’il regardait, et pas John de Vere. Lentement, elle hocha la tête.

« Mais pas Florian. Moi, La Marche, n’importe qui ; pas Florian. Ou… » Son visage s’éclaira. « Pas la première fois. Voilà ce que nous dirons à Gélimer. Nous sommes quoi, aujourd’hui ? Le 3 ? On peut faire traîner la situation sur trois ou quatre jours, jusqu’après la fête du Christ. Ça représente un délai supplémentaire ; tout cela représente un gain de temps… si nous lui faisons croire que Florian sortira, pourvu que nous puissions entamer les pourparlers… »

Florian interrompit ces réflexions à haute voix. « Si c’était toi, là dehors, tu attaquerais. Pour précipiter les pourparlers.

— Gélimer le fera, de toute façon. Nous allons perdre du monde. » L’expression sombre de Cendres céda la place à l’étonnement quand elle regarda de nouveau Anselm. « Une sape. Non, ça ne marchera jamais, Roberto, nous n’avons pas le temps de faire partir une mine des remparts.

— Pas la peine. Je sais où il y a l’une des leurs. Nous l’avons minée en riposte. Sous la tour blanche. Souviens-toi, ma fille, c’est celle que les gars d’Angelotti ont dégagée grâce à un ours. »

La Marche eut l’air effaré ; le comte d’Oxford recracha le vin dilué dans sa coupe ; Floria poussa une exclamation ravie. « Tu ne m’as jamais raconté ça ! Un ours ?

— C’était deux ou trois jours après la chasse. » Cendres fit la grimace. « Avant qu’on ait eu l’idée du steak d’ours. Il en restait un dans la ménagerie de Charles. »

Robert Anselm prit le relais. « Les gars d’Angelotti ont entendu les Wisigoths creuser en direction du rempart. Les enturbannés foraient un tunnel sous la muraille, en le consolidant avec du bois. Ils se préparaient à mettre le feu au soutènement et à faire s’écrouler le rempart. Les ingénieurs d’Angelotti ont creusé une contre-mine, et nous avons fini par déboucher dans leur tunnel. La nuit suivante, pendant que les Wisigoths étaient à l’intérieur, les artilleurs ont fait sortir l’ours de la ménagerie. »

Cendres fronça les sourcils en essayant de se souvenir : « Ils ne se sont pas contentés d’un ours, si ?

— Ils ont également récupéré deux ou trois ruches dans les jardins de l’abbé. Ils ont lâché l’ours dans le tunnel, dit Robert Anselm. Ils ont laissé tomber les ruches derrière lui, et ils ont foutu le camp aussitôt pour claquemurer leur extrémité de la contre-mine ! »

Le visage de Floria se tordit sous l’effort évident qu’elle faisait pour tenter de visualiser les hommes, le noir, des abeilles et un fauve rendu fou par les piqûres. « Bon Dieu ! »

Son exclamation fut couverte par le rire des hommes d’armes.

« On les a vus jaillir à l’autre bout, les bougres ! confia Anselm. Suivis par l’ours. Et par les abeilles. Ils ont condamné leur extrémité, et ils n’y ont plus remis les pieds depuis ! Nous pourrions la rouvrir. La débarrasser des corps. »

Il y avait une tonalité crue, sombre, dans les rires qui éclatèrent dans la salle. Cendres vit le visage de Floria, que cette cruauté effarait. Elle cessa de rire.

Florian baissa le regard vers la couronne de corne entre ses mains.

« Ça vaut la peine d’essayer. Nous devons les occuper à discuter. Je ne veux plus voir d’assaut contre les murailles. Nous devons appâter l’affaire. Nous leur dirons que la duchesse sera bel et bien là… Non ! » Floria, complètement inflexible, répéta : « Non. La décision m’appartient. Dites à Agnès Dei que, oui, je vais rencontrer Gélimer. »

Quarante-huit heures plus tard, jour même de la fête du Christ, la duchesse de Bourgogne et le comte d’Oxford, accompagnés du capitaine général, des janissaires ottomans et des gardes du corps mercenaires de la duchesse, allèrent à la rencontre du roi-calife Gélimer, de ses officiers et de ses alliés de l’Empire wisigoth pour conduire les négociations.

Le tunnel puait la vieille sueur, la terre humide et l’urine : si fort que les lanternes vacillaient et brûlaient bas.

Cendres avançait, une main sur le manche du marteau de guerre passé à sa ceinture. L’espace était trop confiné pour des hampes de vouges, ou des lances ; seules les armes de corps-à-corps pouvaient entrer ici. Elle jeta un regard vers les flancs de la sape, élargis avec une hâte frénétique au cours des deux jours précédents : des planches neuves soutenaient les parois et étayaient le toit, quarante-cinq centimètres à peine au-dessus de leur tête.

Angelotti, debout auprès d’un des ingénieurs wisigoths et de Jussey, hocha la tête à l’adresse de Cendres, en signe de confirmation. « On peut y aller, patronne.

— S’il me dégringole quoi que ce soit sur le crâne, je me charge de t’en faire prendre plein la gueule… » Cendres parlait distraitement. Ayant entendu des voix venues de l’autre extrémité de la mine élargie, elle fit signe à Robert Anselm de lever sa lanterne. Un air froid et immobile faisait frissonner son échine tout le long de sa dossière.

Au moins, avec Florian auprès de nous, je suppose que nous n’avons pas à nous inquiéter d’éventuels petits miracles.

Merde. Ils n’ont même pas besoin de leurs prêtres. Il leur suffit d’envoyer un de leurs golems fouisseurs et ce plafond s’effondre sous mille tonnes de terre…

Elle se mordit, volontairement, pour ne pas prononcer la phrase qui lui brûlait les lèvres : Position des troupes wisigothes, localisation du commandement wisigoth ?

Mais je n’apprendrai rien. Les courriers entre ici et Carthage sont dépassés. Si la Faris ne fait pas de rapports au Golem de pierre, celui-ci ne peut donner de conseil tactique, ici. Une discussion avec Godfrey ne me servira à rien.

Mais j’en ai envie.

« Est-ce qu’il est là ? » demanda discrètement Robert Anselm.

Le gravier qui couvrait le sol de la sape crissait sous les pas tandis qu’elle progressait. Elle plissa des yeux dans la mauvaise lumière. Devant elle, les voix se turent.

Une lumière froide et bleue commença à luire. Des esclaves wisigoths dévoilèrent des globes de feu grégeois, pas plus gros que le poing de Cendres. Elle vit tout d’abord leurs cheveux blancs comme du duvet de chardon et leurs visages familiers ; ils étaient agenouillés de chaque côté du passage. Ensuite, entre leurs deux rangées, elle aperçut des hommes portant de la maille et de somptueuses robes, et, parmi eux, dans un grand manteau bordé de fourrure, sa barbe tressée de perles d’or, le roi-calife, Gélimer. Il paraissait tendu, mais alerte.

« Je confirme, dit-elle. Fais avancer les autres. Il est ici. »

Pas de bannières : le plafond bas ne le permettait pas. Mais tous les hommes d’armes portaient livrée, aux couleurs vives dans la lumière froide. La herse de Gélimer. La tête d’airain de la Faris. Une roue crantée blanche sur fond noir. Une aigle noire bicéphale sur champ d’or. Les lys de France écartelés de barres bleues et blanches.

L’aigle double noire. Elle chercha dans la masse des visages au premier rang, et se retrouva en train de regarder Frédéric de Habsbourg.

Le saint empereur romain n’avait avec lui qu’un homme, à ce que Cendres pouvait voir, un solide chevalier germanique vêtu de maille et portant une masse d’armes. Un petit sourire sec passa sur les lèvres de Frédéric quand il la vit. Malgré la conquête et sa reddition, il ressemblait beaucoup au souvenir qu’elle gardait de lui, dans le camp devant Neuss.

« En personne ? La vache… » Elle fit un pas de côté tandis que des hommes arrivaient derrière elle, les Turcs de De Vere. Les janissaires bordèrent les parois et se placèrent en avant, sur trois rangées, alors que s’avançait Floria del Guiz, entourée de vingt hommes du Lion azur, en hauberts de maille et salade à visage découvert. Des troupes bourguignonnes les flanquaient.

Coude à coude avec Floria sur un côté, le colonel Bajazet et son interprète de l’autre, et John de Vere se pressant derrière elle, Cendres eut soudain le souvenir viscéral du duc Charles, abattu par une attaque en biseau wisigothe à Auxonne, son armure laissant couler son sang entre les plates articulées d’exquise façon. Elle sentit qu’elle commençait à transpirer. Elle ressentit un fourmillement dans ses paumes.

Elle accomplit son acte familier, transmuta comme par alchimie son émotion en exaltation, laissa sa vision s’aplanir dans la lumière artificielle et noter, sans effort, quels hommes étaient armés d’épées (qu’ils pourraient avoir du mal à tirer en cas d’échauffourée), lesquels portaient des masses d’armes, des pics et des marteaux ; lesquels des seigneurs amirs de Gélimer portaient casque et armure – tous – et lesquels offraient une cible évidente.

Un des chevaliers bourguignons derrière elle prononça une obscénité dans un souffle. Elle lui jeta un coup d’œil interrogatif tandis que le groupe faisait halte.

« C’est Charles d’Amboise[51] », expliqua le Bourguignon, Lacombe, en indiquant les livrées françaises, « gouverneur de Champagne. Quant au fils de pute à côté de lui, c’est le lèche-cul qui a trahi l’amitié du duc Charles, Philippe de Commines. »

D’autres encore et le gigantesque Bourguignon blond en aurait craché par terre. Cendres, comme elle aurait pu le faire avec un membre de sa compagnie, hocha la tête en acquiescement, et lui dit : « Surveillez-le. S’il bouge, prévenez-moi. »

Cendres passa devant Floria, se plaçant entre les janissaires, immaculés et silencieux.

« Nous sommes venus ici ouvrir des pourparlers avec le roi-calife. » Sa voix tombait à plat dans l’espace confiné. « Et non pas avec la moitié des seigneurs de France et d’Allemagne ! Ce n’est pas ce que nous avions convenu. Nous nous retirons. »

Il ne faut pas espérer que je vais m’en tirer comme ça. Ce serait trop demander… Prolonger quelques jours encore les négociations sur les négociations…

Le chevalier français, tassé près du petit homme noiraud en qui Cendres reconnut Commines qu’elle avait aperçu lors de sa visite précédente à la cour de Charles, s’inclina. Il déclara d’une voix pleine d’onction : « Je suis Amboise. Mon maître Louis m’envoie au service du roi-calife. Je suis ici pour détailler à Son Altesse la duchesse les avantages de la Pax Carthaginiensis. Ainsi que messire de Habsbourg, le noble Frédéric. »

Charles d’Amboise continua à fixer Cendres avec une expression parfaitement ouverte et aimable. Cendres lui sourit.

« Vous êtes venu espionner pour le compte de Louis, dit-elle. Et, comme messire de Habsbourg, vous êtes venu ici voir la Bourgogne tenir tête au roi-calife. Auquel cas, si j’étais roi-calife, je surveillerais mes arrières… »

Son sourire ne faiblit pas devant l’inconfort évident d’Amboise. Toute dissension que nous pourrons semer est bonne à prendre !

Six des Turcs étaient disposés en avant de Cendres et de Floria. Il n’y avait pas assez d’espace dans la mine pour autre chose. Cendres regarda au-delà de la maille et des manches pendantes des janissaires – ces hommes qui consentaient à utiliser leur corps comme bouclier humain – et vit le visage barbu de Gélimer, à la lumière des globes de feu grégeois.

Il ne laissait paraître aucune émotion. Aucune colère, assurément, ni incertitude. Avec ses lignes dessinées sur la peau autour de sa bouche, et son long haubert de maille et sa cuirasse de plates sous son manteau, il paraissait à la fois plus âgé et plus martial que la dernière fois qu’elle l’avait vu, à Carthage.

Une illumination crue, des ténèbres froides au-delà : la mine ne différait pas tellement du sombre palais de Carthage, avec la grande Bouche de Dieu au-dessus d’elle, et les dalles sur le point de se lézarder et de céder dans un frémissement, sous un séisme. Revoir cet homme causa un choc à Cendres. Dans sa mémoire, il n’y avait aucune image de Gélimer en train de fuir son trône ; à la place elle eut le rappel soudain et physique de la chair morte de Godfrey Maximillian. Un long frisson courut sur son échine, sous son armure.

« Où est la duchesse de Bourgogne ? » La voix de ténor léger de Gélimer était également rendue mate par le plafond bas et renforcé du tunnel.

Par-dessus l’épaule de Cendres, Florian répondit d’une voix sèche : « Elle est en face de vous. »

Les yeux du roi-calife s’attardèrent un long moment sur Cendres. Il déplaça son regard pour considérer la femme couverte d’un manteau et coiffée de la couronne de corne. « Les fortunes de la guerre exigent que je vous fasse tuer. Je ne suis point un homme cruel. Cédez-moi la Bourgogne et j’épargnerai vos paysans et vos villageois. Vous seule mourrez, duchesse. Pour votre peuple. »

Floria rit. Cendres vit Gélimer sursauter. Ce n’était pas un rire bien élevé ; c’était un rire que Cendres avait souvent entendu sous la tente de chirurgie, quand Floria avait déjà bu deux ou trois flacons de vin ; un rire sonore de contralto, agréable, rauque.

« Céder ? Après vous avoir résisté ? Arrêtez donc ! répondit Floria avec bonne humeur. Je suis chirurgienne d’une compagnie de mercenaires. J’ai vu ce qu’il advient des villes assiégées quand les troupes ennemies mettent la place à sac. Les gens que j’ai ici seront plus en sécurité s’ils restent ici, sauf si nous signons la paix. »

Le regard de Gélimer quitta à nouveau Cendres, la dépassant pour se porter vers les seigneurs bourguignons. « Et c’est par cette… femme que vous vous laissez gouverner ? »

Il n’y eut pas de réponse. Ce n’était pas de l’incertitude ou du doute que naissait ce silence, Cendres s’en assura par un coup d’œil autour d’elle. Des visages butés dévisageaient le roi-calife avec mépris.

« Elle est fort avisée et fort vaillante, déclara John de Vere avec une courtoisie coupante. Messires, quelle affaire vous amène auprès de la duchesse ? »

Cendres s’attribua le rôle de capitaine général mercenaire discourtois, face au noble comte étranger qu’interprétait de Vere, et lança d’une voix retentissante : « Si c’est sa meilleure offre, ils n’ont rien à faire avec la duchesse ! C’est pas sérieux. On se tire. »

De Vere lui laissa voir son amusement.

« Rappelez votre Lionne », lança le roi-calife wisigoth à de Vere avec mépris. Elle vit ses yeux aller rapidement du comte anglais aux nobles bourguignons derrière lui, glissant sur elle-même, sur le commandant turc et sur Floria del Guiz.

Il cherche l’homme qui commande, comprit-elle.

Il se dit : ce n’est pas l’Anglais, pas en Bourgogne. Les seigneurs bourguignons ? Lequel ? Ou Olivier de La Marche, en ville ?

Puis elle vit les petits yeux de Gélimer se diriger sur Amboise et Commines et, des Français, passer à Frédéric de Habsbourg. Rien qu’une fraction de seconde durant laquelle il perdit son sang-froid.

Dieu vous bénisse, John de Vere ! Vous aviez vu juste sur tous les plans. Il est ici parce qu’il se doit de remporter la Bourgogne, et parce qu’il estime devoir montrer aux Français et à Habsbourg qu’il ne nous craint pas.

Cendres sourit pour elle-même et se retourna pour adresser une grimace rassurante à Florian. À l’oreille de la femme, ses lèvres touchant les cheveux doux sous la couronne sculptée dans des andouillers, elle chuchota :

« Gélimer aurait mieux fait de foncer tout de suite dans le tas, sans s’embarrasser de négociations. Il ne l’a pas fait, et ils l’observent, d’un regard d’aigle, pour voir ce qu’il va faire.

— Est-ce qu’on peut continuer à le faire parler ? »

En regardant l’expression renfrognée de Gélimer sous son casque à bordure dorée, un souvenir vivace s’imposa à l’esprit de Cendres : l’image de cet homme en train de chevaucher dans le désert sous une tempête de neige, avec son fils… son fils… Le nom du garçon lui échappait. Est-ce qu’il neige encore, à Carthage ?

Elle établit un jugement, rapide et brutal. « Il se débrouillerait très bien si c’était une affaire d’armées. Peut-être sa seule prouesse a-t-elle été, il y a trois mois, de remporter par son éloquence un boulot qu’il n’est pas capable d’assumer… S’il suffisait de dire à ses généraux et à ses légions ce qu’ils doivent faire, il pourrait encore triompher. Mais il y a le noir et il y a le froid. Je ne sais pas l’étendue de ses connaissances. Il hésitera, pour peu que nous lui en donnions la moindre occasion.

— Continue de discuter, murmura Floria. Faisons traîner ceci le plus longtemps possible. »

Le roi-calife wisigoth se retourna pour écouter un homme parler derrière son épaule, sans paraître avoir entendu ce qu’avait dit Cendres. Il hocha la tête, une fois. L’air, que réchauffait le nombre de corps qui emplissaient la mine, se bloqua dans la gorge de Cendres. Les esclaves agenouillés, tenant les globes de feu grégeois dans leurs cages de fer matelassées, paraissaient décolorés par cette lumière ; sourcils et cils blonds s’effaçaient sur leurs visages burinés par les éléments.

La masse des hommes s’écarta pour laisser, difficilement, le passage à d’autres, venus de l’arrière de la délégation du roi-calife. Cendres ne réussit pas d’emblée à distinguer les visages parmi les chamarrures des blasons et l’éclat de la maille, des pommeaux d’épée et des casques.

Le feu grégeois se refléta sur une cascade de cheveux d’une couleur de cendres froides, dont cette lumière dérobait tout l’argent. Cendres se retrouva une nouvelle fois en train de dévisager sa sœur.

« Faris », dit-elle en la saluant d’un hochement de tête.

La femme ne répondit pas. Ses yeux sombres, dans son visage à l’éclat sans défaut, considéraient Cendres comme si elle n’était pas là. Ce regard impavide suscita un froncement de sourcils fugace sur le visage du capitaine mercenaire. Cendres allait faire un commentaire quand elle s’aperçut que le roi-calife Gélimer, tout en feignant d’écouter son conseiller, l’observait avec une avidité complète et totale.

Troublée, elle se contenta d’un nouveau hochement de tête, que la Faris, une nouvelle fois, ignora. La Wisigothe, en armure et revêtue de sa livrée noire, portait une dague à la ceinture ; Cendres n’apercevait aucune poignée d’épée, dans la presse des corps.

Pourquoi est-ce moi que surveille Gélimer ? Il devrait regarder la duchesse.

Serait-ce un genre de diversion, pour tenter de faire assassiner Florian ?

Elle prit une inspiration, subrepticement, en tentant de repérer dans l’atmosphère l’odeur d’une allumette lente, de découvrir si l’on avait dissimulé des arquebuses dans la masse des hommes de Gélimer. Un mouvement attira son regard, amena sa main d’épée par-dessus son corps. Elle se figea.

Deux prêtres wisigoths se forçaient un chemin à travers la foule à la suite de la Faris. Ils tenaient par les coudes un amir de haute taille, maigre et tête nue, un homme aux cheveux blancs en désordre, avec une mine de hibou surpris. Derrière l’amir suivait d’un pas trébuchant un médecin italien grassouillet : elle reconnut Annibale Valzacchi.

Quant à l’amir, c’est Léofric.

« Christ Vert… ! » Cendres ne prit conscience d’avoir refermé sa main sur le bras de Floria que lorsque celle-ci fit une grimace.

« C’est le seigneur amir qui te retenait prisonnière ? Le propriétaire du Golem de pierre ?

— Ah, c’est vrai : tu n’as jamais vu Léofric à Carthage, non ? C’est lui. » Cendres ne détachait pas les yeux du visage de Léofric, observant le vieil homme de l’autre côté d’un espace d’environ cinq mètres. « C’est lui. »

Pas seulement ma sœur, mais lui aussi.

Une douleur se fit sentir en profondeur, au creux de son estomac. Des marches, des cellules, du sang ; l’intrusion douloureuse et brutale de l’examen : tout cela était très net dans son esprit. Elle supporta la douleur, sans la laisser paraître sur son visage.

Par-dessus sa maille, Léofric portait la riche houppelande fourrée d’un seigneur wisigoth. Il semblait n’avoir aucune conscience de la poigne des prêtres sur ses bras, et fronça les sourcils en considérant Cendres avec une expression perplexe.

« Salutations, messire. » Elle donnait l’impression d’avoir la bouche sèche, elle-même s’en apercevait.

John de Vere, pour l’encourager, lui souffla à l’oreille : « Oui, madame : parlez. Tout cela est du temps gagné. »

Deux esclaves se tenaient auprès du seigneur amir Léofric derrière le premier rang de soldats wisigoths. L’une était une enfant, l’autre une grosse femme. Cendres n’en voyait aucune des deux clairement. L’enfant serrait quelque chose contre le devant de sa robe en lin tachée, et elle grelottait. La femme bavait.

Dans la lumière blanche et crue qui écrasait les reliefs, les yeux de Léofric se focalisèrent sur Cendres. Son visage se fripa. Dans le silence, il gémit : « Des démons ! De grands démons ! De grands démons vont tous nous tuer ! »

La dispersion des ténèbres
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